II– LES CREUSOIS ET LA GUERRE

1) L’Arrière

a) Les Creusois lors de la déclaration de guerre
C’est dans la plus grande surprise que la population essentiellement rurale de la Creuse apprend la mobilisation quand le tocsin résonne dans toutes les communes, quand les affiches recouvrent les panneaux officiels, le 1er Août 1914.
Les troubles dans les Balkans avaient été très peu suivis par la population occupée surtout par les moissons.
La surprise passée, les jeunes hommes appelés sous les drapeaux font preuve de résignation. Les scènes de liesse que nous avons en mémoire sont surtout des phénomènes urbains, limités.
La guerre est toutefois acceptée au moins pour deux raisons :
- la population est convaincue de la légitimité de la guerre. Pour elle, il s’agit de combattre pour sauvegarder la civilisation contre la barbarie allemande.
- la population pense que la guerre sera courte. Les courriers des poilus creusois montrent leur préoccupation pour les moissons mais témoignent de leur espoir d’un retour avant Noël.
Au plan politique, la Creuse respecte l’union Sacrée qui s’organise dans tout le pays autour du Député de Bourganeuf, Conseiller Général de Pontarion : René Viviani, Président du Conseil en 1914-1915.

Malgré la sensibilité du département pour les thèses socialistes, 56 000 creusois répondent à l’appel (soit 21 % de la population). Très peu de déserteurs refusent de partir pour le front. Quelques émigrés retraverseront l’Atlantique pour rejoindre leurs camarades.

b) La participation de la Creuse à l’effort de guerre
En dehors de la mobilisation des jeunes gens, la Creuse comme tous les départements, contribue à l’effort national, à la « guerre de l’Arrière ».
Dans le domaine économique, les réquisitions obligent les paysans à se séparer d’une partie de leur cheptel (un tiers des chevaux est prélevé par l’armée par exemple) ou de leur fourrage. L’Etat intervient par ailleurs pour fixer les maxima des prix qui tendent à s’envoler.
Par exemple, sur le marché à Aubusson : le kg de beurre qui valait 2 francs en 1914, grimpe à 5 francs en 1917. Le prix du sarrasin est multiplié par 8 !

La population est victime de la pénurie, conséquence des réquisitions, d’un manque de main d’œuvre et d’engrais. L’occupation par les troupes allemandes des territoires du nord-est ne permet plus à la France d’utiliser des phosphates et en règle générale les produits chimiques sont en priorité affectés à la fabrication d’explosifs. L’Etat essaie alors de gérer la pénurie en instaurant le rationnement.
Ces carences en main d’œuvre et engrais conduisent les Creusois à abandonner certaines terres. En outre, les surfaces en herbe augmentant au détriment des céréales. Se dessine ainsi une mutation agricole qui se poursuivra après-guerre.
Pour ce qui concerne le manque de main d’œuvre, pour pallier cette insuffisance, le département a recours aux prisonniers de guerre allemands. Ils sont environ 950 à travailler dans la Creuse. Des réfugiés belges ou des départements occupés travaillent également au côté des Creusois. Parmi eux, un jeune homme vient du nord : Maurice THOREZ, futur secrétaire général du Parti Communiste, réfugié à Clugnat. De leur côté, les enfants sont invités à travailler. Dans la circonscription d’Aubusson, lors de la dernière année scolaire 1917-1918, l’Inspecteur d’Académie demande aux instituteurs de faire réfléchir les élèves sur le sujet : « Pourquoi tous les enfants doivent-ils travailler au jardin ou aux champs pendant les grandes vacances ? »
D’un point de vue financier, les Creusois souscrivent à l’emprunt d’Etat sous la forme des Bons de la Défense Nationale. Différents appels essaient de convaincre la population de vider les bas de laine.

La population verse également son argent lors des souscriptions en faveur des blessés de guerre comme à Crocq pour les blessés des hôpitaux temporaires de Felletin ou d’Aubusson. La journée des Orphelins rapporte 7 000 francs en 1916.

Enfin, les Creusois sont soumis à une intense propagande. L’objectif du « bourrage de crânes » est de permettre à l’arrière de tenir, d’assurer la solidarité entre le front et les civils, d’éviter le doute voire le rejet de la guerre. La certitude de la victoire, la légitimité de la guerre, la gloire des grands chefs militaires, le culte des alliés… sont autant de thèmes que l’on retrouve par exemple sur les cartes postales que s’échangeaient les Creusois.

c) L’omniprésence du deuil
Dès Août 1914, le deuil atteint les familles. Les défaites des troupes françaises à la frontière belge sont particulièrement meurtrières en effet. Des fratries entières sont décimées. Dans le seul hameau de la Lézioux, dans la commune de Gentioux, les trois frères M. disparaissent (Clément en 1914, Arnaud en 1915, Paul en 1916) ainsi que les frères G.
Régulièrement, le maire est chargé d’annoncer la terrible nouvelle à la famille.

Face aux pertes, les hommes politiques du département veulent convaincre les familles que le sacrifice n’est pas vain.

Les 11 000 décès n’ont pas entraîné de manifestations d’hostilité à la guerre. La résignation des hommes au combat semble trouver un prolongement à l’arrière, dans les familles, malgré la douleur.

d) Des signes de refus ? Deux exemples creusois
A Flirey, Meurthe et Moselle, le 19 Avril 1915, la cinquième compagnie du 63ème régiment d’Infanterie de Limoges, refuse de repartir à l’attaque contre l’ennemi. Les soldats pensent que ce n’est pas leur tour car ils ont été directement mis à contribution quelques jours auparavant. Quatre soldats sont alors fusillés dont deux Creusois : F. BAUDY de Royère et H. PREBOST de St-Martin-Château.

A priori, ils n’avaient pas refusé la guerre comme tant de « fusillés pour l’exemple ». Ils ont montré seulement leur sentiment d’injustice pour être à nouveau sollicités pour des attaques qu’ils savaient condamnées d’avance à l’échec et pourtant meurtrières. Le refus de combattre a de toute façon été extrêmement marginal et le consentement au conflit ne tenait pas qu’à la discipline.

A La Courtine, en 1917, une partie des troupes russes présentes en France montre sa sympathie pour la cause bolchévique à la suite de la première révolution russe en Février. Ces soldats se mutinent le 08 Juillet 1917 et forment un Soviet. Une brigade, au contraire, quitte le camp en direction de Felletin car hostile aux communistes. Alors qu’une partie des rebelles sympathise avec la population, les autorités russes et françaises décident de mâter la rébellion, vaincue en trois jours. Quelques soldats trouvent la mort lors de l’affrontement, d’autres sont enrôlés dans la Légion, d’autres sont déportés en Algérie, certains semblent être restés dans la région.

A suivre : Les Creusois sur le front