Chaminadour
dimanche 18 février 2007 Par Frédéric Gravier, dans DOCUMENTS -# 79 - Fil RSS
Un de mes amis s'est rendu récemment à Chaminadour qu'il ne connaissait pas et de retour à Paris, au débotté, il m'alerte : "Maintenant je comprends tout, Guéret n'a plus de secret pour moi. Je n'y suis demeuré que vingt-quatre heures, au cours de visites que j'ai faites à maintes villes de France. Eh bien ! En ces vingt-quatre heures, il s'est passé plus de choses que durant tout le reste de mon voyage. Nulle part, je n'avais été en butte à de pareilles surprises, je n'ai constaté de tels partis pris, tantôt de gentillesse, tantôt d'hostilité. Le dynamisme de Chaminadour n'a rien perdu de son efficacité depuis un demi-siècle que vous l'avez quitté. Si vous plaisez, non seulement on refuse vos pourboires, on vous apporte des fleurs, mais si, pour une raison imprévisible, vous avez suscité l'antipathie, vous aurez beau avoir payé votre chambre aussi cher qu'un appartement à l'Hôtel Crillon, quand vous partirez, on refusera de porter votre valise jusqu'à la voiture qui vous attend.
"Que s'est-il passé ? Mystère !
Mystère ? Non. Pas tout à fait. On a dû savoir que vous êtes mon ami.
Je ne me suis arrêté qu'un instant devant la maison où vous êtes né, à la sortie des classes. Au bout d'un instant, je me voyais entouré de jeunes gens qui me questionnaient, les uns vous portant aux nues, les autres murmurant, courroucés, qu'il est bien dommage que vous ayez dit tant de mal de tout le monde."
Et voilà bien ma ville, la plus sourdement passionnée qui soit, ruminant ses amours ou ses haines, farouche par caprice, généreuse par bonds.
Tous les passants que l'administration y exile me disent la même chose et ce n'est pas Mlle Schnir, professeur aujourd'hui à Paris, jadis professeur au Lycée de Guéret, qui niera que le climat moral y est inhabituel, qu'on y sent passer sans transition et hors de saison dans les esprits des courants d'air, froid ou chaud, sortes d'alizés ou de gulf-stream endémiques, particulièrement propres à dépayser l'étranger, qu'on y frôle, chez l'autochtone inassimilable, une humanité, selon, plus humaine ou inhumaine qu'ailleurs.
Par-dessus le marché, rien ne permet de déceler apparemment pourquoi il en est ainsi. Les habitations n'y ont rien de particulier. Peut-être cependant, si l'on y regardait de près, à la manière dont les jalousies sont étroites, et les rideaux plus ou moins tirés, aurait-on le droit d'être plus ou moins tranquilles sur les intentions qui se cachent derrière.
La gamme des paysages y est très étendue, des plus gais aux plus sombres. Les routes s'égaillent autour de la ville comme les avenues autour de l'Arc de l'Etoile et aucune ne ressemble à une autre. Celle de Courtille domine la vallée, tel à peu près le balcon d'une terrasse, celle de Limoges traverse la forêt de Chabrières, où les hêtres cinq fois séculaires et les dolmens rappellent le passé le plus lointain, celle de Sainte-Feyre est bordée de châteaux, celle de Paris rencontre la Creuse à Glénic, village entre tous pittoresque, perché sur son rocher autour d'une église aux airs de forteresse. Souvent, la nuit, insomnieux, je prends la route de Maindigour qui conduisait chez mes grands-parents paternels, si belle autrefois à l'ombre de ses deux haies de peupliers et je descends jusqu'à Cher-du-Prat, où j'ai rencontré autrefois le baron Taillefer, d'étrange mémoire ; ceux qui ont lu les funérailles d'Adonis savent de qui je parle, à moins que je ne m'égare sur la route de la Souterraine en marge du cimetière et ne coure jusqu'à Clavière, où est née la mère de ma mère et habitaient tous ces Blanchet de Saint-Sulpice, mes cousins, qui formaient une tribu innombrable, aux yeux bridés, comme une colonie venue tout droit de la Chine ou des pays finnois.
Comment pourrais-je me contenter du Guéret d'aujourd'hui, quand je songe au Colombier, où avait dormi Charles VII, qu'on a systématiquement détruit pierre à pierre, pour construire à la place un vulgaire garage ? Vainement je cherche des yeux la Vieille Prison au toit pointu, à l'ombre de laquelle j'avais grandi, le couvent des Soeurs de la Croix où j'apprenais à lire vers 1894, au temps du Président Carnot. On a remplacé l'une par un building où se pavane l'administration des Allocations Familiales et l'autre par le vide. Où est la jolie maison Brojeton de la Grand'Rue et son auvent médiéval ? On l'a abattue pour permettre à un édile, à qui elle faisait de l'ombre, de voir plus clair chez lui. Tout à l'avenant. La Pierre Battorine, monument celtique, auquel s'attachait la plus charmante des légendes et but sacré de nos pélerinages enfantins, a été abandonnée à une entreprise de démolition. On en a fait des pavés pour les rues de Lyon, sans se demander où se marieraient les oiseaux le 19 mars. Seule, la place Bonnyaud garde encore la majesté de son beau rectangle que rehausse la noblesse du Palais de Justice, dû aux heureux lendemains du Grand Siècle, que le clinquant du nouvel Hôtel de Ville insulte de trop près, à mon gré, à longueur de journée et de nuit.
Chaminadour pour moi est une sorte de vue de l'esprit, quand je la considère installée sur ses gradins entre le Gaudie et le Maupuy, qui évoquent autour d'elle une sorte de mystique abstraite, le Gaudie à l'Orient aussi riant qu'à l'Occident le Maupuy est sinistre. Voilà où j'ai logé mon âme pour toujours à la croisée des Chemins du Bien et du Mal.
Marcel JOUHANDEAU
Commentaires
#1 - Le mardi 19 juillet 2011 à 21:52, par Frédéric
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