En 1422 le prieur du chapitre de Guéret, Aymery Barton, qualifié de «religieuse et honnête personne», fait mettre par écrit les droits et les rentes de sa communauté religieuse. On apprend ici que certains moulins comme ceux de Chavanat et de Courtille sont en ruine, peut-être à cause de la guerre et des passages de troupes ; peut-être aussi à cause des outrages du temps et du mauvais entretien. La population du hameau de Chavanat et du Breuil obtient le droit d’aller moudre son grain à Maindigour, dont le moulin semble en état de marche. Le prieur fait néanmoins stipuler que les villageois devront s’organiser pour aller quérir les meules des anciens moulins et les installer certainement dans le site viable de Maindigour. Une meule est un objet coûteux, techniquement très abouti : même si le moulin est en ruine ou envasé, on ne laisse jamais les meules à l’abandon.
Ce document révèle ainsi beaucoup sur les relations socio-économiques entre le prieur et la population. Les habitants des villages ruraux périphériques de Guéret sont souvent – mais pas toujours – de statut servile. Serfs, ils différent des francs par une série d’obligations spécifiques : taxes, corvées et charrois obligatoires, mainmorte… Ils sont aussi « monants », c’est-à-dire contraints d’aller moudre leur grain dans un moulin banal, propriété d’un seigneur qui en retire des bénéfices sous forme d’une petite part du grain moulu. Ici, le seigneur banal est Aymery Barton, et une bonne part de ses revenus vient des moulins alentours. Ceci explique sont empressement à faire recycler les meules intactes des moulins inutilisés et inutilisables. Ceci explique aussi pourquoi il fait enregistrer par écrit cette décision : une fois porté sur le papier ou le parchemin, grâce au travail d’un notaire, le statut de paysan «monant» de tel ou tel moulin est irrévocable. Il n’est pas impossible qu’au gré des troubles des 14ème et 15ème siècles des tenanciers aient fait oublier leur statut servile ou au moins aient fait tomber en désuétude certaines obligations : la préoccupation première de tout seigneur est de remettre en vigueur ses anciens droits, ce qui explique l’existence de ce document.
Le prieur Barton profite-t-il de son rang et de la détresse présumée de la population pour imposer un nouveau statut et de nouvelles corvées ? Il faut se garder de tout jugement trop sévère : dans la région, en 1422, dépendre d’un seigneur pour la mouture du grain ou la cuisson du pain est chose normale, commune. Que l’on dépende des religieux de Guéret ou d’un seigneur laïc, peu importe : les machines coûteuses et complexes que sont les moulins ne peuvent être entretenues et financées par les paysans seuls. Il y a donc communauté d’intérêt entre les usagers « monants » et le propriétaire. Cette convergence se voit lorsqu’on localise les villageois de Chavanat et du Breuil sur une carte, par rapport à Courtille. Aymery Barton n’a visiblement pas les moyens de faire réparer le moulin de Chavanat et souhaite prioritairement rénover celui de Courtille, mais ses tenanciers ne veulent certainement pas aller jusqu’à Courtille juste pour moudre leur grain ordinaire. Un compromis est donc trouvé : de Courtille on reprendra les meules, et c’est à Maindigour, plus près de Chavanat et du Breuil qu’on développera un moulin plus performant.
Aymery Barton assure ainsi ses revenus et son emprise juridique et socio-économique sur les paysans de sa seigneurie, ces derniers obtiennent un assouplissement des règles et une remise en état du moulin qui facilite leur vie.