Côté distractions, c’était très simple : il n’y avait rien ! A part une balançoire, installée sous un gros chêne voisin de la maison. Parfois, j’accompagnais une jeune fille, Jeannette, qui gardait un troupeau de vaches dans un pré entouré de haies. Nous étions aidés, avec beaucoup d’efficacité, par une petite chienne noire qui surveillait très bien le troupeau et avait vite fait, sur une parole de la gardienne, de faire revenir une bête ayant tendance à s’éloigner un peu trop. Bien des années plus tard, je devais revoir, en Irlande, un même petit chien noir garder aussi bien un troupeau de moutons. J’allais oublier la pêche ! Mon grand-père m’avait confectionné, avec une branche d’osier, du fil à coudre et une épingle recourbée en guise d’hameçon sur lequel je mettais une sauterelle, une canne pour que je puisse pêcher... des grenouilles, qui pullulaient dans une petite mare. Les soirs de pêche, mon frère, ma cousine et moi dégustions des cuisses de grenouilles ! Il y eut aussi la moisson, avec les chariots chargés de gerbes qui passaient devant la maison, tirés par deux bœufs. Les jours s’écoulaient sans que personne ne semble se faire trop de soucis pour savoir ce qui se passait dans le Loiret.
Un jour, nous avons vu arriver mon père, à pieds. Pendant la retraite, il avait été blessé dans un accident de moto et avait fini par être démobilisé à Bellac. Je n’ai jamais su comment il s’était débrouillé pour venir nous rejoindre. Il était fatigué, amaigri et sa blessure, (une partie de la langue amputée), ne lui facilitait pas la vie... Un peu plus tard, une Peugeot 201, conduite par un de mes oncles, fit son entrée dans le village. Il avait obtenu un laissez-passer (nous étions en zone libre) pour venir nous récupérer car cela faisait deux mois que nous étions partis !



On rechargea la LICORNE et tout le monde reprit la route en direction du nord. Nous avons passé la ligne de démarcation à Reuilly, où nous avons vu, pour la première fois, les soldats allemands. Retour sans problème. D’après les dates figurant sur le laissez-passer, nous avons dû retrouver La Neuville aux environs du 15 Août. En rentrant dans la boulangerie, mes parents constatèrent que les 100 quintaux de farine qui se trouvaient dans la maison avaient disparus, sans doute pas perdus pour tout le monde... Dans la cave, un fût de 220 litres de vin s’était également ‘’ évaporé’’, y compris le fût !
Au village voisin, mon autre grand’mère (maternelle) avait décidé, au dernier moment, de rester chez elle, ce qui lui a évité d’être pillée. Je me souviens l’avoir souvent entendue dire : « j’en ai vu pas mal partir avec leurs charrettes presque vides et revenir nettement plus chargés » ! Le malheur des uns faisant le bonheur des autres...
Une anecdote concernant cette grand’mère : les soldats allemands ayant pris l’habitude de se ravitailler en eau au robinet se trouvant dans sa cour, elle ferma l’arrivée d’eau au compteur dans sa cave ! Le soir même, elle fut conduite,’’ manu-militari ’’ dans le garage communal de la pompe à incendies et y passa la nuit. L’occupant la libéra le lendemain matin. Il faut dire qu’elle avait perdu son mari au cours de la guerre de 1914. Restée veuve avec trois jeunes enfants, elle avait une haine tenace envers nos envahisseurs.
La boulangerie se remit à fonctionner, sous l’occupation, avec les cartes de rationnement et autres joyeusetés comme les bons d’essence et le gazogène. Curieusement, à la maison, personne ne reparla beaucoup de l’exode. Parfois, l’épisode du pont de Châteauneuf-sur-Loire était évoqué mais sans plus... J’ai demandé, plus tard, à ma mère, par ou nous étions passés pour aller jusqu’à ABZAC mais elle ne s’en souvenait plus... Le possesseur actuel du laissez-passer est un de mes cousins, René, qui, au vu de ce document qu’il retrouva après le décès de son père, en 1972, se demanda, sans trouver aucune réponse, ce que son père avait bien pu aller faire, à MARNIER, en Août 1940 ! En 2009, je lui apportais la réponse...
Nous sommes repassés dans le village, vers les années 80, et il nous a paru quasiment désert, trente ans plus tard, il semble avoir retrouvé des habitants.



Photo prise en 2009 : la façade a changé ; marquise au-dessus de la porte centrale, nouvelles fenêtres et nouveaux volets, quelques arbustes...

Quant aux grands chênes, ils sont toujours là…



Voilà mon récit terminé, merci à René pour le laissez-passer...

Champsanglard, 25 Mai 2010

Je dédie ce récit aux enfants de Pierre BOURDAN et à ceux des Résistants qui tombèrent pour que la France soit libre.