Un des plus mauvais moment de mes souvenirs fut que par un beau jour du 19 juin 1940 nous allions subir un bombardement ! Ayant été retranché au centre de la France nous ne pensions plus à cette guerre mais hélas elle était là !!
L’été à cette époque était magnifique, nous étions bien tranquilles, installés devant la maison à se détendre au soleil, il était approximativement 10 heures 30, 11 heures. Je me souviens, de ma sœur la plus jeune, du surnom de BIBI qui se mettait des papillotes dans les cheveux avec une amie pour se faire des frisettes. Celles-ci étaient assises sur les marches extérieures de la porte d’entrée de la maison, tout était calme, c’était une journée magnifique, un ciel bleu sans nuage. Je me prélassais chaussé de mes deux sandalettes, insouciant rêveur ; débraillé un jour de repos, cela devait être un jeudi sans doute, pas d'école, pas de soucis ; quand soudain, une intensité incroyable nous envahissait et les bombes nous tombaient dessus ! aucune sirène nous avait prévenu ; seulement la sirène des avions en piqué. L ‘affolement était général. Ma mère nous rassemblait tant bien que mal puis elle se mit à nous crier : "courez vite chez Caradet !" Caradet était un voisin situé à 300 mètres de l’endroit où nous nous trouvions et ce jour là, j’ai couru tellement vite que j’en ai perdu mes deux sandalettes et je courais pieds nus parmi les débris de verre sans m’en rendre compte, le but était de se mettre à l’abri dans une cave voûtée prévue à cet effet.
Nous sommes donc arrivés dans une cave voûtée chez le voisin Caradet ! il y avait tellement de monde que nous avons eu du mal à nous faire une place. Nous nous sommes tassés tant bien que mal les uns contre les autres comme des sardines. Nous sommes restés là un bon moment. Tout le monde priait à haute voix et chacun sa prière dans toutes les langues… ! Et toutes les religions ! J’ai encore dans les oreilles le "Notre Père, le salut Marie" et celles-ci dans toutes les religions !!! et collectives dans ces moments-là ! Cela vous déclenche une peur plus intense quoique j’étais déjà au maximum de la peur de ma vie. Après une courte accalmie, ma mère nous a ramené à la maison toujours sous le bombardement qui n’était pas terminé et que nous entendions au loin. A peine arrivée à la maison, elle prend la direction de l’escalier de la cave et arrivés au milieu de celui-ci un souffle violent nous coupe la respiration ! Nous faisons ni une ni deux, nous remontons en vitesse l’escalier ! seulement le souffle provoque pendant un certain temps un manque d'oxygène !! Ce que l’on nomme le déplacement d’air ! Effectivement une bombe était tombée chez le voisin rue Montauciel (par bonheur celle-ci n’avait pas éclaté, nous l’avons su par la suite. Elle est tombée sur une arête en béton). L’autre versant de la maison c’était des garages et sur l’autre versant, le locataire de la maison était soit-disant au lit, il a failli ne plus se lever ce jour-là ! Si cette horrible bombe avait éclaté, je ne serais plus là pour vous commenter ce moment pénible.

La situation devenait catastrophique. Que faire ? Nous venions de passer un horrible moment qui aurait pu nous être fatale, les avions avaient semble-t-il déversé leurs monstrueux chargements ou en partis. Un calme précaire semblait revenir et nous pouvions, la peur au ventre, établir un bilan pressant de notre logement. Nous constations qu’un éclat de bombe avait traversé le couloir et traversé une porte à un endroit précis où passait ma sœur aînée (elle en a parlé longtemps) ! Puis une bouteille d’eau de javel toute neuve a été débouchée par le déplacement d’air sans compter les débris de plâtras de poussière etc… ! Enfin nous étions là tous encore vivants !!!
La mitraille et ses avions continuaient ! Ils tournaient et continuaient à menacer par la mitraille, ils piquaient avec un bruit de sirène et des bruits de bombes tombaient sur les maisons, des incendies partout, une puanteur de fumée, des cris, des pleurs d’horreur, une terreur comme les hommes savent le faire !
Vivre cela en étant jeune, j’avais 8 ans à cette époque, nous perdons confiance dans l'être humain et pendant longtemps. Jusqu'à ce jour, je me dis que l’homme est le pire des animaux !!
Par la suite, nous avions appris que cette opération de guerre avait été faite par des italiens (alliés des allemands à cette époque fascisante !) Et à l’un et à l’autre de ces nationalités, il m’en reste une certaine indifférence... Et plus encore... (démenti par un commentaire de Jean-Claude Montmartin de Guéret, il s'agit bien de l'aviation allemande et non de l'Italie !) Peu importe ! Les faits sont là et c'est de la barbarie.
Et par quel hasard nous nous sommes retrouvés à la campagne et par quel moyen ? je ne m’en souviens plus j’avais trop la trouille ! je ne me souviens plus où nous étions partis en pleine nature sous des arbres, la tête dans l’herbe et les buissons ; ma mère me couvrait de sa personne. Cela a duré tout un après midi, de temps à autre je relevais la tête pour respirer. Nous avions aperçu au loin des gens qui, habillés de blanc étaient dans un champ avoisinant et sans trop s’occuper de ce qu’il se passait, se promenaient tranquillement. Nous ne cherchions pas à comprendre et continuions à chasser notre angoisse. Mon père militaire de carriere, ayant des fonctions de comptable, était ce jour-là à l'abattoir s'occupant de l'intendance pour les militaires restants de la caserne des Augustines. Sous le bombardement, il a vite accouru pour venir vers nous et en passant vers une maison en flamme qui se trouvait en face de la rue Montauciel, il s'est arrêté pour voir s'il pouvait sauver quelqu'un. Il est entré et il a vu un jeune homme semble-t-il figé, carbonisé debout, dans l'attitude de vouloir sortir de cette maison. Il est reparti et nous a conseillé de partir à la campagne.
Le bilan a été assez lourd : des gens tués, des maisons détruites, toute une ville qui était tranquille se retrouva dans l'angoisse de la guerre. Et, petit à petit, tout devenait normal et chacun s'occupe à panser ses blessures et prier leurs morts ; une angoisse qui ne vous lâche plus, sans oublier ces moments de tristesse et de désolation. (Hélas ! nous n'oublions pas que nous sommes en pleine guerre et qu’à tout moment il peut surgir des faits semblables et même pires et sans limites !!!! dans l’horreur il n’y a pas de limites !!) Quel devait être leur état d'âme à ces militaires le soir après avoir effectué une mission pareille ; avoir largué des bombes sur une population sans défense ou sur des femmes et des enfants ! c'est vivre sans conscience et être dépourvu de toute morale primaire pire qu'un animal, qui lui tue pour se nourrir, mais l'homme à quoi pense t-il en faisant ça ?
Et pourtant il a l'intelligence ! Contrairement à l'animal !!